SurdiFrance 6 millions de malentendants Du déni à la prise de conscience

Du déni à la prise de conscience

Extrait du numéro 19 de la revue 6 millions de malentendants

Le malentendant a un long chemin à parcourir pour passer du déni de sa surdité à l’acceptation, car avant d’en arriver là, il doit d’abord intégrer le fait qu’il est malentendant ou sourd.

Scène de la vie ordinaire : un samedi matin sur le marché. Je commande quatre côtelettes d’agneau
au boucher qui saisit un carré de porc pour préparer ma commande. Je lui fais remarquer que j’avais demandé de l’agneau et non du porc. Avec un sourire il s’excuse et prépare mes grillades. La semaine suivante au même étal. Le soleil est très chaud et les clients se font rares.

Au moment de passer ma commande, je relève mes lunettes de soleil laissant voir mon implant. Avant que je puisse m’exprimer, le boucher me dit: « Je vois que vous êtes malentendante aussi, comme moi. » Je lui dis que je le sais depuis longtemps mais que je n’ai jamais osé dire quelque chose. Il est étonné et me demande comment je l’ai deviné, car il n’est pas appareillé. Je lui explique que c’est son attitude qui l’a trahi, le fait de se pencher en avant en tendant l’oreille droite, les quiproquos, le fait qu’il ne réagit pas quand il tourne le dos au client et que celui-ci lui parle. Le temps passe vite, d’autres clients arrivent, je lui donne ma carte de visite de présidente de Surdi 34 en l’invitant de me contacter pour en parler tranquillement.

Arriver à verbaliser sa malentendance n’est possible que si l’on a déjà pris conscience qu’on a un problème de surdité et avant d’en arriver là il y a souvent un long chemin à parcourir. Qu’il perde l’audition petit à petit ou brusquement, le malentendant est bien souvent d’abord dans le déni.

Avec la mémoire auditive et la suppléance mentale on arrive à tromper très longtemps son entourage mais c’est surtout soi-même qu’on continue à tromper. Le conjoint, la famille, les amis ou les collègues essaient bien souvent de faire prendre conscience au malentendant qu’il y a un problème.

Ce n’est que peine perdue, car pour le malentendant dans le déni, il n’y a aucun problème, car ce sont les autres qui n’articulent pas ou c’est le bruit extérieur qui est facteur de gêne. Cette situation peut durer des années et pendant ce temps- là le malentendant prend l’habitude de fuir de situations à risque: les réunions de famille, les invitations chez des amis, un nouveau poste de travail.

C’est bien souvent une situation fortuite qui dénoue la situation. Vous vous rappelez peut-être de l’histoire de Noé, paru dans notre revue n° …. C’est son petit frère qui dit : « Mais il est sourd mon frère ! » alors que les professionnels de la santé n’avaient pas détecté l’origine de ses problèmes. Personnellement j’étais sourde profonde depuis trois ans quand un jour j’ai cru que ma machine à laver était en panne alors que je l’avais allumée normalement. Le témoin lumineux de la machine fonctionnait et quand j’ai posé ma main sur la machine à laver, j’ai senti qu’elle en était au programme de l’essorage mais … je ne l’entendais pas. La stupeur ! Comment cela était possible ? Je suis allée dans le salon et j’ai allumé la chaîne Hifi, pas de son, j’ai tourné le bouton du volume, toujours rien puis au maximum, RIEN ! J’avais enfin compris que j’étais devenue sourde. Mon conjoint, mes enfants avaient bien essayé de me le dire, mais je n’étais pas réceptive. J’avais été dans le déni de ma surdité.

Un pas est franchi quand le malentendant prend conscience de sa surdité mais cela ne veut pas dire qu’il l’accepte. A nouveau de longs mois, voire des années peuvent séparer le moment de la prise de conscience à l’acceptation. Tout d’abord, il y a un travail de deuil à faire. Le deuil de ne pas être et de plus jamais être bien entendant. On a tout intérêt à faire ce travail sur soi avec un professionnel de la santé : un psychologue averti ou une orthophoniste. Apprendre à dire sa malentendance au professionnel puis à son entourage puis enfin aux inconnus est un chemin long et difficile à parcourir. Toutefois ce travail sur soi est primordial si l’on veut garder son intégrité mentale et ne pas sombrer dans la dépression.

Les associations de malentendants ont un rôle important à jouer à ce niveau-là, car entre pairs la parole se libère plus facilement. Ensuite le degré de la surdité va définir la conduite à tenir.
Une surdité légère ou moyenne peut nécessiter un appareillage classique, une surdité profonde un implant cochléaire ou autre.

Quelque soit la réponse proposée au malentendant, il doit être avant tout acteur de son appareillage et comprendre puis accepter ce que la technique peut lui apporter. Il doit également en connaître les contraintes, les déceptions possibles, le travail d’adaptation et/ou de rééducation nécessaire. Ce n’est qu’au terme de ce processus que le malentendant peut commencer à apprivoiser ses « nouvelles oreilles ». Il pourra se forger une nouvelle identité en intégrant sa surdité. Les contacts sociaux deviendront ainsi plus aisés et fréquents.

Aisa Cleyet-Marel Surdi 34

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