Article de Jessie B. Ramey, issu du site américain chronicle.com.
Cher collègue, aujourd’hui, pendant la réunion, je mourrais d’envie de vous dire : « Ce n’est pas de vous qu’il est question. » Quand on vous a passé le micro pour faire vos commentaires, vous avez répondu : « Non merci, ça va. » Mais la question n’est pas de savoir si cela vous plaît ou non d’utiliser un microphone mais plutôt de savoir comment faire en sorte que les autres puissent entendre.
Refuser d’utiliser un micro revient à programmer une réunion dans une salle accessible uniquement par un escalier, et quand votre collègue en fauteuil roulant se présente et demande une rampe pour pouvoir y assister, à vous tenir en haut des marches et lui répondre : « Non merci, ça va. »
Si vos collègues ou élèves ne peuvent pas entendre en réunion ou en classe, ils ne peuvent pas participer. Ceux d’entre nous qui ont une perte auditive, un handicap auditif ou qui sont équipés d’un appareil auditif ont besoin que vous parliez dans le micro pour pouvoir comprendre ce que vous dites. Cette amplification permet à chacun de participer et d’apprendre.
Il ne suffit pas de parler fort. Vos cours de théâtre et votre capacité d’orateur n’y changent rien. De même que la “voix de professeur” que vous utilisez pour vous faire entendre depuis le fond de la classe. Il s’agit ici de qualité du son, et celle qui provient d’un micro est différente : le son est nettement bien plus facile à distinguer et à entendre.
Quand vous me dites : « Non merci, ça va », j’ai envie de crier : “Et moi alors ?!”. Quand vous mentionnez que vous n’avez pas besoin d’un micro, en réalité ce que vous dites c’est que vous vous moquez complètement du fait que je puisse vous entendre ou non. Vous supposez que tout le monde est comme vous et entend très bien. Et que ceux qui entendent mal exprimeront leur besoin – que ce soit facile à faire ou non, et quel que soit le nombre de fois où ils ont déjà eu à le faire dans ces mêmes réunions.
Il s’agit de «validisme» – l’idée, à la fois explicite et implicite, que les corps dits valides sont la norme souhaitée. Quand vous refusez d’utiliser un micro, vous mettez à l’écart les gens comme moi. C’est un véritable acte d’exclusion. Lorsque vous râlez et demandez : « Roh non, a-t-on vraiment besoin d’utiliser un micro ? », vous sous-entendez que votre malaise à l’idée d’entendre votre propre voix amplifiée l’emporte sur le droit d’autrui à être inclus dans la réunion.
Quand vous ignorez le micro et que vous demandez : « Est-ce que tout le monde m’entend au fond ? », vous m’oubliez. Je sais que vous ne pensez pas à mal. Mais vous illustrez ce validisme qui dit que, par défaut, “personne dans la pièce n’a besoin d’un son amplifié” – parce que de toute façon, si c’était le cas, ils vous le diraient, non ? Et puis à ce moment-là (et seulement à ce moment-là), vous utiliserez le microphone.
Et si on réécrivait l’histoire en partant du principe que des gens comme moi existent et sont dans la pièce ? Il ne serait donc plus nécessaire de se demander si le son est audible et les personnes malentendantes n’auraient plus besoin de se faire entendre.
Pour les personnes en situation de handicap, le fait d’être constamment exclues, de se sentir invisibles et d’avoir à se battre pour obtenir des aménagements, même basiques, est une frustration quotidienne. Vivre avec une déficience auditive est épuisant. Quand il n’y a pas de micro, nous nous fatiguons à nous concentrer sur vos paroles.
Avec l’amplification, je peux me concentrer sur ce que vous dites et participer à la réunion ou en classe. Cela soulage littéralement le cerveau et permet de se focaliser sur la raison pour laquelle nous sommes réunis.
La perte auditive étant un handicap invisible, vous ne pouvez pas savoir combien il y a de malentendants présents parmi vos collègues ou élèves. Environ 15% des adultes américains de plus de 18 ans souffrent d’une perte d’audition. Cela signifie qu’il y a probablement plusieurs élèves dans votre classe qui essaient, tant bien que mal, de vous entendre clairement. La perte auditive est de plus en plus fréquente avec l’âge : environ 25% des 55-64 ans n’entendent pas correctement et 50% des plus de 65 ans sont malentendants.
Voici quelques bonnes pratiques que nous devrions tous appliquer dans nos réunions, conférences et salles de classe pour intégrer pleinement les personnes malentendantes :
- Si un micro est disponible, utilisez-le. Faites-en une habitude personnelle et assurez-vous que vos interlocuteurs l’utilisent aussi. En tant qu’allié des personnes en situation de handicap, montrez l’exemple et expliquez à votre auditoire et aux élèves pourquoi vous utilisez un micro et pourquoi ils devraient faire de
même. - Si vous organisez un événement ou une conférence, assurez-vous que la pièce soit sonorisée sinon faites en sorte qu’elle le soit. Intégrez ce besoin technique à votre budget.
- Si vous procédez à une session de questions/réponses avec votre auditoire, faites passer un micro pour que chacun puisse poser ses questions. Dans une grande pièce, faire circuler un micro peut demander de la patience, mais c’est l’occasion pour vous d’expliquer aux gens pourquoi c’est si important. S’il n’y a aucun moyen d’amplifier les questions du public, assurez-vous que l’animateur équipé d’un micro répète clairement les questions.
- Si vous animez une table ronde, faites en sorte que tous les intervenants parlent dans leurs micros.
- Apprenez à utiliser correctement un microphone. Pour la plupart des micros, vous devez les tenir très près de votre bouche. Si vous le placez sur un support, gardez votre bouche très près (habituellement de 2 à 5 cm) et restez face au micro.
- Avec les micros à main, sachez qu’il est facile d’oublier et de baisser votre bras ; attention : votre nombril ne fera pas la conversation ! Avec les micros-cravates , assurez-vous qu’ils soient accrochés assez haut sur vos vêtements, loin des bijoux qui claquent, et face à votre bouche.
- Lorsque vous diffusez un film, assurez-vous d’activer les sous-titres s’ils sont disponibles. Activez systématiquement les sous-titres, pas seulement lorsque vous savez
qu’une personne malentendante se trouve dans la pièce.
Rappelez-vous, cher collègue, il ne s’agit pas de vous. Il s’agit d’établir de nouvelles règles afin de faciliter la vie aux personnes malentendantes, pour que tout le monde puisse participer et apprendre sans se sentir exclu.
Jessie B. Ramey est directrice du Women’s Institute de l’Université de Chatham et professeure agrégée d’études sur les femmes et le genre. Elle est également présidente de la Commission sur l’équité entre les sexes de la ville de Pittsburgh.
Traduit de l’anglais par Yoann Le Scanf – Photo par david laws sur Unsplash