Pourquoi diable ne nous transforme-t-on pas les voix de femmes ou d’enfants en voix d’hommes beaucoup plus adaptée à notre audition ? Bien des malentendants se sont posé cette question …
Ce défi a été relevé par Widex en 2005 en proposant un système permettant de baisser d’un octave les sons aigus. Ce système s’adresse à des malentendants ayant conservé une bonne audition dans les graves mais souffrant d’une perte supérieure à 70 dB au-delà de 1 kHz. Dans un article paru dans résonnances n° 39, J.Schlosser résume ci-dessous la documentation de Widex.
Certaines surdités montrant une hypoacousie aussi brutale que sélective ont été jusqu’à présent considérées comme quasi in appareillables faute de technologies adaptées. Dès 2005, Widex en collaboration avec les centres de recherche ORCA USA a pu proposer un algorithme de transposition fréquentielle linéaire dans l’une de ses aides auditives numériques, Inteo. Cet algorithme (l’Audibility Extender, système breveté) réalise un transfert de l’information des hautes fréquences dans une plage fréquentielle plus basse, permettant ainsi leur compréhension.
Figure 1 : audiogramme des surdités cibles pour le Widex Inteo
D’après Widex :
- les sons transposés sont « accordés » harmoniquement et filtrés avant d’être ajoutés aux sons des fréquences basses.
- Les sons du spectre auditif ne subissent aucune modification, sauf la bande aiguë délimitée par l’audioprothésiste qui elle est transposée.
- C’est un traitement de signal doux qui ne crée pas d’artefacts acoustiques ni de distorsions et qui permet de maintenir les traits temporaux et spectraux de la parole.
- C’est une alternative à l’amplification classique sans risques traumatiques (pas d’exposition à des niveaux acoustiques élevés). Cette solution est à envisager dans les situations où l’amplification nuit à l’intelligibilité.
Dans le Widex Inteo la fréquence de coupure (ou fréquence charnière) Fc est choisie par l’audioprothésiste (fréquence dont la perte est supérieure à 70 dB et qui est précédée d’une pente de 50 dB par octave). Les sons au delà de la fréquence Fc sont alors transposés d’un octave dans les graves (l’audioprothésiste a le choix entre un mode élargi, 5 canaux, ou un mode de base, 3 canaux, selon ce que lui permet la fréquence Fc). L’audioprothésiste va pouvoir régler le gain des sons transposés par rapport au gain des sons non transposés.
Figure 2 : exemple d’un signal de 4 kHz qui va subir une transposition fréquentielle à 2 kHz.
Selon des données citées par Widex au bout de 2 à 15 jours d’essais :
- pour la parole 23 % des utilisateurs ont préféré la transposition fréquentielle contre 40 % qui ont préféré le mode normal,
- pour les chants d’oiseaux 70 % ont préféré la transposition
- pour la musique 30 % ont préféré la transposition
Selon ces mêmes données les scores dans la compréhension des fricatives sont équivalents lors des 5 premières semaines mais deviennent bien meilleures après (on passe d’un score de 39 % sans transposition à 58 % avec transposition au bout de 9 semaines)
Discussion
Cette technique d’appareillage est séduisante mais est encore peu proposée. Nous conseillons vivement aux personnes qui s’appareillent ainsi de se faire suivre par une orthophoniste : elle pourra, comme dans le cas de l’implant cochléaire, aider à progresser rapidement.
Ce système peut permettre d’éviter l’implant d’oreille moyenne ou l’implant électroacoustique qui nécessitent tous deux une opération.
Jacques Schlosser, Surdi13
Remarques
Lorsque l’on a une perte importante dans les aigus il y a deux techniques d’appareillage :
1/ Amplifier au maximum les fréquences aiguës. Pour cela il est nécessaire d’avoir des embouts très étanches (difficiles à faire et souvent inconfortables) pour éviter le Larsen.
2/Transposer les fréquences aiguës dans les fréquences graves.
Chacune de ces techniques est valable. Tout dépend des antécédents de la personne à appareiller. Chacune peut aussi avoir ses inconvénients, par ex. le fait de ne plus faire travailler ses restes auditifs dans les aigus ne va-t-il pas accélérer la perte auditive dans ces fréquences ?
C’est là en fait que l’audioprothésiste joue tout son rôle : expliquer les différentes alternatives et les rééducations auditives à faire dans chaque cas.
Brice Meyer-Heine, ARDDS
Témoignage
J’ai une surdité profonde mais avec quelques restes dans les graves (ma perte bilatérale est de 104 dB).
Depuis 2 ans je porte des aides auditives Widex Inteo qui effectuent une transposition fréquentielle des aigus. J’en suis très contente.
En effet, il n’y a eu que 3 ou 4 réglages et je me suis très vite habituée à la nouvelle façon de recevoir les sons. Je reçois bien les voix aiguës comme telles et je suis très satisfaite de bien comprendre mes petits enfants. Les adultes qui conversent avec moi semblent aussi très satisfaits de ma compréhension. Il y a déjà de nombreuses années que je ne téléphone plus et je n’ai pas d’exigence sur ce point. Je n’en ai pas davantage pour la musique que j’ai délaissée depuis longtemps.
Comme toutes les personnes appareillées je ne suis pas très à l’aise dans le brouhaha mais c’est plutôt mieux qu’avec mes anciennes prothèses. Pour moi cela apporte un vrai plus par rapport aux prothèses classiques qui ne m’apportait pas cette compréhension dans la vie courante.
A.-M. D
Interview d’un audioprothésiste
■ Dans votre pratique trouvez-vous que la transposition fréquentielle est un bon outil ?
C’est un très bon système que je propose très fréquemment. Cela marche plutôt mieux pour les nouveaux appareillés qui n’ont pas de repères acoustiques que pour les anciens appareillés qui ont leurs habitudes.
■ À qui peut-on proposer ce système ?
C’est pour des surdités très spécifiques où on a des graves bien conservés et une chute très brutales dans les aigus, typiquement une perte de 30 dB jusqu’à 1 kH puis une chute brutale à 90 dB à 2 kH et au-delà. Avec ces techniques ces surdités deviennent faciles à appareiller.
En revanche cela ne marche pas si on a affaire à une surdité brusque. C’est une technique qui doit être essayée avant d’envisager une prothèse électroacoustique qui nécessite une opération et l’introduction d’un court porte électrodes dans la cochlée(2).
■ En dehors de l’Inteo de Widex on entend parler du Naida de Phonak
C’est tout à fait différent Inteo transpose une bande de fréquences aigus dans les graves tandis que le Naida fait une compression fréquentielle de toute la plage on pourrait dire par exemple que la bande 0-6 kHz va se trouver comprimée en 0-3 kHz. Il faut savoir que le Widex Inteo n’existe plus et a été remplacé par le Mind 440.
■ Qu’est ce que cela donne pour la musique ?
Cela ne doit pas être très bon. À priori on peut penser que le système Naida est plus performant pour la musique. Dans le système Inteo je peux laisser à l’utilisateur, à l’aide d’un bouton poussoir, le choix de mettre ou non la transposition en action, pour la musique il peut ainsi revenir à une prothèse « classique ».
■ On parle souvent de 20 à 50 % d’échec en premier appareillage (appareils vendus et non portés) ?
Aujourd’hui si on travaille bien on n’a pas ce taux d’échec car on dispose de prothèses plus satisfaisantes.
Avec un écouteur déporté par exemple (écouteur dans l’embout auditif) on obtient le même rendu sur les aigus mais avec 10 dB de moins en amplification, ce qui est considérable et réduit bien des problèmes de Larsen.
Aujourd’hui j’estime avoir moins de 5 % d’échec.
■ Pour vous les réglages sont essentiels ?
Absolument ! Il est très important d’écouter le patient, de comprendre ce qu’il veut et de faire tous les tests nécessaires avant de commencer l’appareillage puis en cours d’appareillage. Nous avons tous le même diplôme mais manifestement nous n’avons pas tous la même pratique. C’est ce qui fait la différence.