SurdiFrance 6 millions de malentendants Tombé dans l’oreille d’un sourd – Interview de Grégory Mahieux

Tombé dans l’oreille d’un sourd – Interview de Grégory Mahieux

C’est le titre d’un album de bande dessinée, écrit par Grégory Mahieux et Audrey Levitre. La rédaction de 6 millions de malentendants a été emballée par ce livre et a interviewé l’auteur.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez fait la BD avec Audrey ? Est-ce qu’Audrey a d’abord écrit le texte ou avez-vous travaillé de concert ?

Le projet a démarré un peu par hasard. Quoique, diton, le hasard n’existe pas. Nous échangions avec les éditions Delcourt sur la création d’un roman graphique sur notre expérience d’enseignants. Peu motivé par le thème, j’ai proposé d’aborder un sujet encore plus personnel et sur lequel j’avais de nombreuses choses à dire : le handicap. Audrey est une amie très proche, comme un membre de la famille. C’est donc tout naturellement que je lui ai proposé de travailler ensemble.

Elle a partagé nos déboires familiaux et nous a très souvent soutenus. Son regard familier sur la situation et ses qualités littéraires ont permis d’apporter de l’objectivité à des propos que j’aurais eu, sans elle, sûrement trop virulents. Nous travaillions essentiellement par Skype. En partageant l’écran de ma tablette, nos sessions de travail étaient interactives. L’histoire existant déjà, Audrey a proposé un plan pour la narration que nous avons fait évoluer ensemble. De la même manière, grâce au partage d’écran, c’est ensemble que nous faisions évoluer les storyboards. Ce que j’aime dans ce travail, au-delà de l’amitié qui nous unit, c’est de faire tomber les barrières dessinateur/scénariste. C’est très enrichissant. On a changé d’éditeur pour plus de liberté et Tombé dans l’Oreille d’un Sourd est né !

À qui est destinée cette BD ? Adultes ? Enfants ? Professionnels de la santé ? Quel est votre message ?

Cette BD est destinée à tout le monde en âge de lire ce genre d’histoire. Le but étant de toucher les gens non concernés et que les divers malveillants à l’égard du handicap (comme ceux que j’ai croisé et croise encore) révisent leur comportement (on peut rêver!). Le ou les messages? Le droit à l’altérité, à une vie « normale », le droit de dire non et de taper du poing quand c’est injuste…

Vous avez fait deux BD : Les Twins et Tombé dans l’oreille d’un sourd. Dans la première BD vous ne parlez que de la gémellité sauf sur une seule vignette à la page 9 alors que dans la deuxième vous abordez la surdité de Tristan. Est-ce que le sujet était trop douloureux à l’époque ?

Le sujet était bien évidemment douloureux mais ce n’est pas la raison qui nous a poussé à évincer le thème de la surdité. Les Twins étaient destinés à être un projet surtout commercial pour l’éditeur, donc délicat d’y cumuler les thèmes. La différence était déjà un thème important que nous y avons abordé par le biais de la gémellité dizygote. Comme vous l’avez remarqué, nous n’avons pu nous empêcher de faire quelques clins d’œil à la surdité… et vous en avez raté semble-t-il !

Pourquoi le choix de l’implant a été si difficile? Est-ce le manque d’information ou la responsabilité que vous aviez en tant que parents ?

Les deux ! Comme raconté dans le livre, il est difficile de prendre une décision qui va influer sur la vie entière de son enfant. Quelle que soit la décision, on s’expose à ses reproches lorsqu’il grandit. On a aujourd’hui passé ce cap puisque Tristan nous a clairement dit qu’on avait bien fait. Le manque d’information n’aide évidemment pas à prendre la décision.

Que pensent les garçons de ce livre? Est-ce qu’ils seretrouvent dans votre histoire ?

Tristan a été surpris de découvrir les difficultés quenous avions rencontrées.Charles est plus réservé. Il est par contre un grandadmirateur du travail de son papa. Ils se retrouvent tous les deux sur les dernières pages car ils se souviennent. Il y a une forme de détachement avec tout ça de leur part qui, finalement, me convient très bien.Est-ce que cette BD a changé la relation avec vos collègues, vos proches, la famille? Tout parent de multiples vous dira à quel point c’est excluant. Tout parent d’enfant handicapé vous dira àquel point c’est excluant. Imaginez quand on est parent d’un jumeau handicapé ! Oui, et comme le montre le dessin de la photo de mariage et son équivalent plus tard dans l’album, notre situation a fait du vide autour de nous.

Mais c’est peut-être un mal pour un bien. Je n’attache que peu d’importance aux personnes qui nous ont abandonnés. C’est finalement un tri sélectif efficace ! Certains sont partis, d’autres sont arrivés et il y a ceux qui sont devenus encore plus proches. C’est la vie finalement !

Est-ce que cette BD a changé la relation avec les collègues?

Certains ont aimé le livre, d’autres jaloux malveillants n’y ont vu qu’une thérapie obscène… aujourd’hui je vis loin d’eux et je laisse les seconds à leur médiocrité… Pour la famille, en tout cas celle qui est restée proche, et malgré le fait de sa présence toutes ces années, nos proches n’avaient pas tous conscience de la réalité de notre quotidien. Ça a ouvert davantage les yeux de ceux qui y voyaient déjà assez clair. Quant aux autres, qu’ils restent sourds !…


■ Propos recueillis par la rédaction de 6 millions de malentendants
Article paru en janvier 2019 dans le numéro 32 du magazine

Tombé dans l’oreille d’un sourd : bande dessinée par Grégory Mahieux sur un scénario d’Audrey Levitre, édition STEINKIS.

Grégory dessine le vrai parcours du combattant des parents de jumeaux, dont l’un est sourd et l’autre a une maladie génétique qui impose un régime alimentaire stricte. Les différentes étapes sont symbolisées par des grands dessins fond noir : un labyrinthe pour faire les courses « adaptées au régime ». Un engrenage géant qui veut absorber les parents. Le jeu de loi de l’inscription à l’école, avec retour à la case départ : la mairie ne veut pas d’un enfant qui a un régime, la directrice ne veut pas d’un enfant sourd ! L’équilibre Boulot/Enfant : les employeurs des parents se disent compréhensifs, mais ne peuvent pas bousculer le sacro saint emploi du temps. La langue des signes que l’enfant apprend plus vite que ses parents. Puis l’implantation est proposée, qui amène des hésitations, des questions, des non-réponses, des bouleversements, puis la découverte des sons, du bruit et la rééducation! De la naissance, l’entrée à l’école maternelle, à la fin du primaire nous suivons la famille dans sa vie quotidienne, les dessins passent du fond blanc au fond noir, marquant les moments difficiles à vivre ! Il y a aussi l’apprentissage du violoncelle qui mène à la participation à un concert. Quel chemin parcouru !

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