SurdiFrance Témoignages Entendre – Témoignage d’une implantation cochléaire

Entendre – Témoignage d’une implantation cochléaire

Régine Got est adhérente de l’association Surdi 13. Elle a rédigé le témoignage de son implantation cochléaire en 2014 et le partage avec ses dessins, élaborés pendant sa période de rééducation auditive.

J’ai 20 ans. Je suis étudiante, c’est le mois de septembre 1972 et j’entre en 3ème année d’architecture. Mais quoi ?…Cela ne s’arrêtera-t-il donc jamais ? Depuis quelques jours déjà, ce bruit qui emplit ma tête… comme un murmure subliminaire de milliards de cellules, s’adonnant à une action biochimique. Le bruit de mon intérieur. Obsédant.

Je consulte des ORL, ces bruits bizarres sont des acouphènes. Ils font un masque à mon écoute, j’ai de la difficulté à comprendre, à entendre. Le diagnostic tombe : je développe une otospongiose endocochléaire bilatérale. Les cellules ciliées de l’oreille interne se dégénèrent, le processus est irréversible, et sur mes deux oreilles.

Par manque de chance, le spécialiste qui m’annonce cela, ajoute qu’on n’en guérit pas, que c’est inopérable et que ça ne peut que s’aggraver !

À l’époque, la médecine ne se prononce pas sur les causes possibles, il y aurait un facteur héréditaire, ou bien cela peut démarrer lors d’un déséquilibre hormonal, ou encore être favorisé par certains médicaments toxiques pour l’oreille interne, comme la quinine…je m’interroge car je reviens d’un voyage au moyen orient un peu éprouvant, je suis partie sac à dos en Afghanistan avec une amie cet été de 1972 et j’ai pris de la quinine quotidiennement à titre préventif…mais je ne vais pas, en plus, culpabiliser !

J’ai 20 ans, la vie s’ouvre devant moi et soudain plus d’horizon, mais un abîme. 

C’est inacceptable, et j’envoie balader la médecine officielle.

À partir de ce moment-là, je vais m’enfoncer dans le déni pendant de longues années.

Je ne veux pas le croire : non, je ne suis pas sourde, non je ne vais pas devenir sourde! je me battrai pour essayer de comprendre, emplie de fureur et de colère par cette injustice qui me touche , moi et personne d’autre dans ma famille, ni mes parents ni ma sœur n’en sont atteints, pas même les grands parents. J’essayerai de comprendre pourquoi mes oreilles se sont fermées soudain, je perds des aigus : je prends des cours de chant qui font monter ma voix très haut, jusqu’à l’étourdissement.

Qu’est-ce que je n’ai pas pu ou voulu inconsciemment entendre? Je parlerai de ma peine à des psychologues, je tâterai de la méthode Tomatis, je ferai des séances de relaxation pendant de longues heures sur des canapés à écouter des bandes passantes d’enregistrement de la voix de ma mère. Tout cela me fragilise, et la surdité continue d’évoluer. J’en fais un complexe, je le cache, mais ce handicap me rattrape. Je me souviens avoir vraiment beaucoup pleuré.

L’esprit pour moi a toujours été très important et ce qui m’affecte le plus est qu’on me prenne pour quelqu’un d’un peu bête. Je suis restée inscrite dans le social, j’ai passé mon diplôme d’architecte, je travaille, et heureusement je suis très visuelle et je dessine. Le dessin, médium universel ô combien bienvenu !

Un voyage autour du monde en 1980 met un sympathique ORL sur mon chemin, je saisis l’opportunité de cette rencontre pour renouer avec la médecine officielle.

J’ai 28 ans, mon handicap est tel que j’ai besoin d’être aidée. Je me fais appareiller mais je reste discrète.
Equipée d’une paire de magnifiques contours d’oreilles analogiques une nouvelle aventure commence : l’adaptation ne se fait pas en un jour, mais quelle joie de retrouver des sons oubliés. J’ai le souvenir d’un soir à ma table, j’écris avec un feutre noir, et là c’est magique : j’entends le crissement de la pointe sur la page blanche, c’est une patineuse qui a de la suie sous ses patins et qui trace la boucle des mots. J’en remplis une pleine page.

Vous, qui devenez sourds, n’hésitez pas à vous faire appareiller.

Je l’ai vécu comme une renaissance, j’ai retrouvé une assurance et la confiance à nouveau dans la vie. Suffisamment pour la perpétuer : mon enfant est né, tout beau et sans problème d’oreilles.
Malgré cette grande joie et l’écriture qui me porte pendant toutes ces années, la dépression sournoisement se manifeste à chaque changement d’appareils auditifs.

J’en change tous les 5 ou 7 ans, c’est ma huitième paire, c’est cher, de manière indécente et il faut que cela change.

C’est difficile, c’est déstabilisant, je passe du son analogique au son numérique et l’adaptation est progressive – je panique souvent quand le téléphone sonne…vais-je comprendre ce que l’on me dit ?

J’envisage de basculer de l’autre côté, de quitter le monde des entendants.
Pendant un an, après le travail je prendrai régulièrement des cours de langue des signes française, car je veux explorer ce moyen de communication fascinant. Mais il n’est pas pour moi, je dois le reconnaitre. J’ai une structure mentale d’entendante.

Je suis suivie tous les ans par mon bienveillant ORL et nous essayons de stabiliser ces pertes auditives avec un traitement à base de fluor, Vastarel et Didronel qui ne m’a pas trop mal réussi puisque cela m’a permis de tenir pendant 30 ans. Et j’ai un bon audioprothésiste.

Pourtant mes difficultés s’accroissent dans la compréhension de la parole, j’évite le restaurant en groupe, les réunions d’amis, le théâtre est depuis longtemps supprimé, le cinéma sans sous-titrage également. Je suis dans la tristesse d’être exclue alors que j’aime tant le contact avec les gens. Isolement.

Les quiproquos s’accumulent, je dois me dévoiler. Un jour, un ami m’avait dit : « accepter n’est pas se résigner, accepter permet de cibler son combat ».

Je prends conscience que c’est l’invisibilité immédiate de ce handicap qui retarde sa reconnaissance et qui fait que sa gravité est à ce point sous-estimée.

Nous sommes en 2007, je rencontre l’association SURDI 13, et leur soumets mon projet de pin’s : le dessin du logo avec l’oreille barrée et l’inscription « handicap invisible ». Il en sera fabriqué tout de suite 1500 exemplaires.

Ce pin’s, je l’accroche au revers de ma veste, je ne veux plus qu’on me prenne pour ce que je ne suis pas : débile, méchante, pédante, non ! Juste malentendante. Cet acte, et la rencontre avec l’association m’ont beaucoup aidée dans l’acceptation de mon handicap. Le chemin a été long, ça m’a pris 25 ans. Je me suis mise à militer et je peux à mon tour tendre la main à ceux qui souffrent en silence.

Mais la remise en question est incessante puisqu’il me faut aussi accepter l’évolution de mon handicap. Le fait que ma surdité se soit installée progressivement a prolongé d’autant son déni.

Récemment la mort de ma mère m’a plongée à nouveau dans une grande souffrance, mais aussi dans une grande clairvoyance.

J’ai réfléchi sur la notion du deuil et j’ai enfin réalisé que depuis tout ce temps, je faisais le deuil de mon audition et que je n’avais pu sauter des étapes : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.

Aujourd’hui c’est un peu l’heure du bilan, je travaille toujours et j’aime encore ça.

J’ai passé la moitié de ma vie avec des appareils sur les oreilles et bien qu’ils m’aient permis de rester en prise avec le monde des entendants, ils ne parviennent plus aujourd’hui à compenser mes pertes auditives.

J’ai entamé des démarches pour me faire implanter. Continuer l’aventure de la vie, jusqu’au bout.

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