SurdiFrance Actu 10 propositions pour améliorer la prise en charge des personnes malentendantes en France

10 propositions pour améliorer la prise en charge des personnes malentendantes en France

Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, a lancé le 23 janvier dernier une concertation avec des acteurs concernés par l’optique, l’audioprothèse et les soins dentaires. L’objectif : parvenir à un «reste à charge zéro» pour les dépenses de santé dans ces secteurs d’ici 2022. 
Le Bucodes SurdiFrance a constitué un groupe de travail pour élaborer des propositions concernant l’appareillage auditif, en repartant de ses revendications publiées en 2016, demandant un reste à charge nul pour le patient. Les nouvelles propositions présentées dans ce document ont été enrichies et approuvées par le Conseil d’Administration du Bucodes SurdiFrance. Quatre constats constituent un préambule à 10 propositions visant l’amélioration de la prise en charge des personnes qui perdent de l’audition au cours de la vie.

Des constats préoccupants

La correction par des appareils auditifs est effectuée dans le cadre d’une approche trop commerciale
Alors qu’ils sont des produits de santé nécessaires (non « désirés » par les patients concernés) et couvrent des besoins très hétérogènes, les appareils auditifs sont commercialisés comme un produit de consommation. Il nous semble essentiel que le débat actuel ne se fasse pas exclusivement sur un volet économique : un changement en profondeur doit être opéré pour prendre en compte la réalité médicale de la perte auditive ainsi que ses conséquences.

Une non prise en charge qui pose un problème de santé publique
L’enjeu de l’appareillage, particulièrement au cours de la vie active, est l’insertion et l’inclusion dans la société. Les difficultés de communication provoquées par une perte d’audition non prise en charge sont la cause d’une forte détresse psychologique, d’obstacles permanents à la vie sociale quotidienne, d’arrêts maladie, de difficultés à conserver son emploi, etc.
Par ailleurs, il a été récemment démontré que les personnes malentendantes non appareillées seraient exposées à des risques accrus de déclin cognitif et d’entrée en dépendance précoces. Une meilleure prise en charge de la perte auditive constituerait donc une mesure de prévention indispensable, qui-plus-est dans un contexte démographique qui prévoit une forte augmentation de la population senior : une personne sur trois aura plus de 65 ans en 2040, selon l’Insee.

Des inégalités préoccupantes dans l’accès au soin, encore aggravées par le manque d’information
Environ 4 millions de personnes souffrant de problèmes d’audition ne seraient pas équipées en appareils auditifs1, principalement pour des raisons économiques2. Le taux de prise en charge par la sécurité sociale est très faible, induisant un reste à charge de 1000 € en moyenne, après prise en charge de l’Assurance Complémentaire. Ces inégalités liées aux revenus se cumulent avec celles des barrières d’âge : la prise en charge est réduite au-delà de 20 ans et, sauf exceptions, il n’est plus possible de solliciter des aides complémentaires comme la Prestation de Compensation du Handicap « Aide Technique », si la perte auditive est déclarée après 60 ans. 
Les dispositifs de financement complémentaires, relevant de la compensation du handicap, font l’objet d’une complexité administrative qui constitue un obstacle à l’accès aux droits.

La prise en charge médicale de la perte d’audition reste très perfectible
Manque de professionnels médicaux dans ce domaine, manque de coordination entre les acteurs du parcours de santé, formation insuffisante sur les questions de la surdité acquise, baisse des financements publics des associations d’usagers, informations neutres difficiles à trouver. Le parcours de santé des personnes concernées en France par des difficultés auditives comporte trop d’obstacles. Nombre d’entre elles renoncent à s’appareiller ou sont mal équipées et se retrouvent fréquemment démunies, isolées et en situation de détresse psychologique3.

Les revendications des associations de personnes malentendantes

Les priorités sont de rendre possible l’accès aux soins pour toutes les personnes concernées et de médicaliser davantage la prise en charge de la perte auditive.

1. La revalorisation des bases de remboursement de la sécurité sociale

Parce qu’il s’agit d’un produit de santé indispensable pour les personnes concernées et parce qu’il s’agit de compenser un handicap, nous défendons une prise en charge complète des appareils auditifs. Leur remboursement par la sécurité sociale doit donc être révisé significativement à la hausse pour éviter le renoncement aux soins actuellement constaté. Il nous apparaît nécessaire que tous les futurs appareils auditifs « à reste à charge zéro », annoncés par le Ministère de la Santé soient de qualité et intègrent a minima les derniers progrès en matière de traitement de la parole dans les environnements bruyants (condition essentielle pour accéder à la vie sociale et professionnelle).

2. L’instauration d’un plancher de prise en charge par les complémentaires santé

Tant que la prise en charge de la sécurité sociale ne couvrira pas à hauteur de 100% le montant de l’appareillage, réglage et suivi (voir revendication n°1), nous demandons que le plancher de prise en charge obligatoire par les complémentaires santé soit fortement revalorisé.

3. La séparation entre achat-réglage et prestations de suivi, à condition que le remboursement des séances permette d’éviter un renoncement au suivi

Aujourd’hui, le prix des appareils auditifs inclut leur adaptation à l’audition de l’usager ainsi que le suivi, à raison, au minimum, d’une séance par semestre, pendant toute leur durée d’utilisation. Ces prestations sont actuellement indissociées et payées d’avance par l’usager malentendant. Une séparation entre l’achat-réglage et les prestations de suivi pourrait constituer un allègement significatif du prix au moment de l’achat. Cette solution n’est envisageable que si les séances de suivi sont intégralement remboursées afin d’éviter un renoncement au suivi. L’accès à ce suivi pourrait prendre la forme d’un forfait annuel renouvelable pendant toute la durée de vie de l’appareil, intégralement pris en charge.

À ce jour, le système au forfait est appliqué partout dans le monde. La France a déjà remis en question le principe du forfait dans ses textes de loi. Le Bucodes SurdiFrance souhaite être associé à toute réflexion sur la mise en place d’un système de séparation, qui pourrait passer par une phase préalable d’expérimentation, limitée à un territoire donné.

4. Une baisse pour le deuxième appareil en cas d’appareillage des deux oreilles

Selon qu’on équipe une oreille ou les deux, le travail à fournir et le nombre de séances d’adaptation ne varie pas du simple au double. Nous demandons que cette réalité soit prise en compte dans les tarifs fixés pour les réglages et le suivi, en réduisant, dans le contexte actuel, le prix du second appareil.

5. La création d’une spécialité « audiologie » et le développement des CERTA

Un reste à charge zéro est une condition nécessaire mais pas suffisante pour améliorer la situation des personnes concernées. En effet, le Baromètre Santé Sourds Malentendants (BSSM)5, publié par l’INPES, a mis en évidence que « le port d’un appareil auditif […] paraît avoir seulement un effet légèrement protecteur sur la détresse psychologique » des personnes sourdes et malentendantes. Par ailleurs, en France, l’audioprothésiste est à la fois prescripteur et vendeur – puisque la prescription du médecin ou de l’ORL est, à ce jour, minimale6. Afin de médicaliser la prise en charge de la surdité, nous préconisons la création d’une spécialité d’audiologistes ou d’accompagnants professionnels et le développement des CERTA pour les surdités les plus importantes.
Cette nécessité d’améliorer le parcours de santé de la personne malentendante a également été soulignée par l’INPES.

La profession d’audiologiste, interlocuteur spécialisé dans la perte auditive
Spécialisés dans la surdité, ces interlocuteurs pourraient prescrire (mais pas fournir) le matériel et effectuer un travail complémentaire de celui des audioprothésistes : adaptation à l’appareil auditif, contrôle du réglage de l’appareil. Les audiologistes pourraient aussi faire des préconisations aux patients en matière d’accessibilité, avec notamment l’activation du programme T, qui devrait être systématique à partir d’un certain niveau de perte , mais régulièrement oubliée par les audioprothésistes qui ont pourtant l’obligation de disposer d’une boucle à induction magnétique (BIM) dans leurs locaux. Ils pourraient aussi proposer des tests et des préconisations en matière d’aides techniques (téléphonie, télévision, micros, systèmes d’alerte, applications smartphones etc.), pour des appareils qui deviennent de plus en plus sophistiqués. Enfin, ils pourraient constituer une ressource essentielle dans la prise en charge de troubles de l’audition tels que les acouphènes ou l’hyperacousie. Cette approche médicale et technique, mais non commerciale, réduirait l’asymétrie d’information qui existe aujourd’hui entre l’audioprothésiste et le patient et éviterait le risque que des contraintes de rentabilité passent avant l’intérêt du patient.

Le développement des CERTA
Il n’existe à ce jour que 4 Centres « Basse audition » en France (Angers, Metz, Poitiers et Paris). Les CERTA, Centres d’Évaluation et de Réadaptation des Troubles de l’Audition, proposent « un ensemble de services aux personnes sourdes et malentendantes qui leur permettent de conserver et de développer leur autonomie ». Leur modèle de prise en charge pluridisciplinaire permet de « mieux tirer parti de son appareil auditif » grâce à des équipes composées d’orthophonistes, de psychomotriciens, d’ergothérapeutes, mais aussi de psychologues et de travailleurs sociaux.

6. De nouvelles modalités pour les EPHAD et services de maintien à domicile en matière de dépistage, d’équipement, d’accessibilité et de formation

Les personnes âgées malentendantes en EPHAD ou en maintien à domicile souffrent de problèmes de communication mais aussi de difficultés à suivre les animations proposées ou les programmes télévisés. Il nous semble essentiel de mettre en place un contrôle systématique de l’audition à l’entrée en EPHAD, ouvrant la possibilité d’acquérir des appareils auditifs à reste à charge nul, compatibles avec la boucle magnétique qui devra équiper chaque téléviseur et chaque salle où se déroulent des animations. Ces prérogatives doivent aussi être étendues aux services de maintien à domicile. Il sera nécessaire de former le personnel au fonctionnement des boucles magnétiques, au changement des piles, à l’entretien des appareils auditifs et aux bonnes conditions de communication avec une personne déficiente auditive.

7. La simplification des démarches administratives relatives aux dispositifs de financement

Dans la mesure où l’appareillage auditif relève du domaine de la santé mais aussi de celui du handicap et de l’autonomie, les démarches administratives permettant d’accéder à des dispositifs de financements requièrent des compétences administratives pointues et mobilisent de manière démesurée et parfois aberrante des ressources humaines complémentaires (travailleurs sociaux, commissions de validation, etc.). Par ailleurs, l’information sur ces dispositifs est insuffisante et difficile d’accès. Ils restent donc méconnus et peu sollicités par les personnes éligibles qui pourraient ainsi alléger leur reste à charge. Une simplification à tous les niveaux (appareillage et accessibilité) est donc indispensable.

8. L’interdiction de la publicité relative aux audioprothèses et la mise en place de campagnes nationales d’information

La publicité relative aux appareils auditifs entre en contradiction avec le fait qu’il s’agisse d’un produit de santé. De plus, elle avance des arguments contestables et délivre des messages qui alimentent des représentations délétères : promesse de résultats parfaits, besoin de discrétion, image exclusivement « seniors », etc. Ce sont les usagers qui payent cette publicité dont le coût est répercuté sur le prix final des appareils7. Nous demandons donc l’interdiction de la publicité sur les appareils auditifs et la mise en place de campagnes nationales d’information sur la perte auditive qui soient indépendantes de tout intérêt commercial8. Le Bucodes SurdiFrance a publié l’an dernier un guide pratique pour «Bien s’équiper en appareils auditifs». Très complet sur le parcours de la personne qui doit s’appareiller, ce document a été réalisé par les bénévoles de l’association, forts de leur expérience. Il est disponible en ligne sur le site internet du Bucodes SurdiFrance9.

9. La création d’un observatoire des appareils auditifs

Il est actuellement assez difficile, voire impossible, de se repérer dans l’offre d’appareils auditifs en France, souvent qualifiée d’opaque. Il semble indispensable de mettre en place un observatoire public des équipements de correction auditive qui pourrait établir chaque année des classifications objectives des modèles, en fonction du service effectivement rendu. Par ailleurs, les classes A B C D qui définissent actuellement les appareils auditifs sont depuis longtemps obsolètes. Il apparaît vain de vouloir établir des nomenclatures figées dans un contexte aussi mouvant. D’où la nécessité de réévaluer régulièrement la classification des appareils auditifs, dont l’un des critères essentiel devrait être le gain en compréhension de la parole en particulier dans les environnements bruyants.

10. Associer le Bucodes SurdiFrance à l’élaboration des nouvelles règles

Le Bucodes SurdiFrance souhaite être associé à toutes les réflexions qui vont conduire à modifier le paysage de la prise en charge de la perte auditive en France. Comme l’a dit la ministre de la Santé, « les usagers sont des partenaires indispensables (…) qui doivent être les co-auteurs de leur prise en charge ». S’il n’a pas le potentiel de lobbying des autres acteurs de ce marché, le Bucodes SurdiFrance représente à l’échelle du pays les personnes ayant une surdité acquise, dites malentendantes. Il regroupe 43 associations et sections d’associations et bénéficie de la reconnaissance d’utilité publique, d’un agrément du Ministère de la santé pour représenter les usagers du système de santé. Il est également membre du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) et des fédérations européenne et mondiale d’associations de personnes malentendantes (EFHOH et IFHOH).

1. Selon la DREES, 5,4 millions de personnes en France ont une limitation fonctionnelle auditive de moyenne à totale et «seules 20 % des personnes ayant des limitations fonctionnelles auditives moyennes à totales, soit 1 000 000 à 1 200 000 personnes, en sont équipées », (chiffres 2008).
2. La revue Que Choisir estime à 2,1 millions, le nombre de personnes malentendantes non appareillées pour raisons économiques
3. Voir Baromètre Santé Sourd Malentendant de l’INPES – chapitre 1 « santé mentale et qualité de vie »
4. Centres d’Evaluation et Réadaptation des Troubles de l’Audition
5. Page 86, http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1690.pdf
6. L’ordonnance prescrit un appareil pour une ou deux oreilles, sans préciser le degré de surdité ou le type d’appareils
7. 83€ serait le coût marketing moyen payé par appareil selon la revue Que Choisir
8. Recommandation de l’Autorité de la Concurrence
9. https://surdifrance.org/images/brochures/Bien_s_equiper_en_appareils_auditifs_guide_pratique_janvier2017.pdf

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